Résoudre la crise agricole sans renoncer à sa ligne, le défi complexe du gouvernement
L’exécutif, qui présentera vendredi ses propositions aux exploitants, espère calmer la contestation sans rogner sur ses engagements écologique et proeuropéen. Une gageure.
L’épilogue de la contestation agricole, l’exécutif espère encore pouvoir l’écrire sans tarder. Au moment où les services de renseignements s’inquiètent d’un débordement de la colère si «l’attente» de réponses du gouvernement était «trop longue», le premier ministre se préparait à dévoiler vendredi ses premières propositions à l’issue d’une semaine rythmée par des discussions avec les syndicats. Alors même que deux organisations franciliennes (FDSEA et Jeunes Agriculteurs) appellent le même jour à un «blocus de Paris». Gabriel Attal devrait, lui, être en déplacement dans un foyer de la contestation – peut-être en Occitanie – pour apporter autant des «réponses immédiates» qu’un «message d’amour» et «parler au cœur» des agriculteurs, selon un conseiller de l’exécutif.
Le chef du gouvernement a finalisé son plan de sortie de crise avec trois de ses ministres (Bruno Le Maire, Marc Fesneau, Christophe Béchu) lors d’une réunion organisée jeudi matin à Matignon. «Il ne faudra pas faire du “en même temps”», suggère une source gouvernementale. En tentant d’éviter l’écueil des injonctions contradictoires. «Ça ne doit pas être un sujet de victoire des uns sur les autres», insiste un ministre concerné au premier chef par la crise. À savoir, la conclusion d’un match entre les agriculteurs, qui veulent moins de normes, et les écologistes, qui en réclament, ou entre les exploitants, qui attendent d’être justement rémunérés, et les consommateurs, confrontés à l’inflation. Tant sur la question des normes environnementales que celle du pouvoir d’achat, la colère des agriculteurs bouscule les attentes de la société. Alors même que 89 % des Français soutiennent aussi leur mouvement, selon un sondage Odoxa-Backbone Consulting pour Le Figaro.
Dès lors, le gouvernement cherche «une position d’équilibre qui ne renonce ni à l’ambition écologique ni à la souveraineté alimentaire», selon les mots de l’entourage du ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu. Celui-ci a peaufiné jeudi avec Marc Fesneau, son homologue de l’Agriculture, certains des points qui seront annoncés par Gabriel Attal. «L’écologie fait partie de la solution et ne doit pas être le problème», plaide le cabinet de Christophe Béchu tandis que celui de Marc Fesneau met en garde contre la recherche de boucs émissaires.
Ambition environnementale
À cinq mois des élections européennes, les directives européennes figurent pourtant comme le coupable idéal. «On est en train de faire une analyse factuelle texte par texte, réglementation par réglementation», confirme un membre du gouvernement qui crie ainsi haro sur la «surtransposition» des normes européennes tant décriées dans les cohortes de tracteurs. Dès le week-end dernier, lors d’un déplacement dans le Rhône, le premier ministre évoquait lui-même ce «truc insupportable pour les agriculteurs et pour tous les Français» qui consiste à «interdire certaines pratiques ou certains produits en France et en même temps de permettre l’importation de produits de l’étranger qui utilisent ces mêmes produits». «C’est incompréhensible», affirmait-il avant de dénoncer les «paperasseries» qui «pourrissent la vie». Jetant une pierre dans le jardin de Bruxelles, à l’unisson d’un discours ambiant défiant l’Union européenne qui gagne de plus en plus les exploitations agricoles. Une ligne de crête singulière pour la majorité. «Le piège, c’est de dire: soit on est très exigeant pour l’environnement et on sacrifie l’agriculture, soit on veut soutenir l’agriculture et on sacrifie l’environnement. C’est un débat traditionnel, souvent mis en scène, mais complètement mortifère», prévient l’ancien ministre de l’Écologie François de Rugy.
Lors de la réunion à Matignon, Bruno Le Maire «a rappelé que l’essentiel est de donner des perspectives sur la politique agricole européenne dans les années qui viennent pour que la priorité absolue soit la protection du revenu des producteurs», note-t-on à Bercy. En plaçant les revendications des agriculteurs devant les normes européennes, le gouvernement veut éviter de se faire déborder par le Rassemblement national (RN), qui est déjà parvenu à imposer son narratif auprès des exploitants, qui étaient pourtant par le passé beaucoup plus rétifs à la remise en cause de l’Europe par le FN. «Il faudra porter un message européen et repréciser l’articulation entre agriculture et écologie dans un second temps, pendant la déclaration de politique générale de mardi prochain», suggère un responsable de l’exécutif, avant tout pressé de «taper fort du poing sur la table» pour observer rapidement une décrue de la mobilisation des agriculteurs.
La majorité macroniste, qui a placé l’écologie et l’Europe au cœur de sa doctrine, observe avec vigilance l’approche du gouvernement. «Prenons en compte la demande de simplification et d’accompagnement, mais gardons les objectifs que nous nous sommes fixés dans notre ambition environnementale. Les normes sont là pour protéger les consommateurs ; l’objectif, c’est évidemment d’être le plus vertueux», insiste Olga Givernet, la porte-parole des députés du parti présidentiel Renaissance. Alors que des agriculteurs attendent aussi un geste du gouvernement pour garantir une fiscalité avantageuse sur le gazole non routier (GNR), l’élue de l’Ain prévient: «Ne perdons pas de temps dans la transition écologique et gardons le cap pour sortir des énergies fossiles.»