Les gardiens de la LNH devant l’immense défi de contrer l’accélération constante du jeu
BROSSARD – Mardi, un entraîneur spécialisé du nom de Glen Tucker, alias « Doctor Shot », a été invité à travailler avec les joueurs du Canadien avant l’entraînement, et certains joueurs étaient heureux de se prévaloir de ses conseils.
L’art du lancer ne se limite plus à la vélocité des tirs ou au point de contact idéal sur la palette. La façon de cacher la dégaine ou encore de tromper le gardien en lui faisant croire à une certaine dégaine avant de tirer dans une trajectoire différente fait partie des éléments qui ont contribué à faire en sorte que le balancier, autrefois en faveur des gardiens, penche désormais du côté des tireurs.
Mais il n’y a pas que les lancers. L’ensemble des stratégies offensives dans la Ligue nationale fait en sorte que l’attaque est de plus en plus rapide, et les passes est-ouest dans l’enclave – dans ce que certains surnomment l’allée royale
– rendent la vie impossible aux gardiens.
Le vétéran Jake Allen ne croit pas que le balancier est à la veille de retourner en faveur des gardiens.
La façon dont le jeu est enseigné aujourd’hui, il y a beaucoup plus de risque en attaque. C’est moins axé sur la défense et, en même temps, les tireurs sont plus habiles que jamais. Il n’y a pas de ralentissement en vue. Je ne vois pas de régression. C’est donc à nous de trouver des solutions et de nous adapter
, dit-il.
Les taux d’efficacité à travers la ligue sont en chute libre depuis quelques années, et les moyennes observées depuis les derniers mois sont les plus basses depuis la saison 2005-2006, quand l’attaque avait explosé après les changements de règlements imposés après le lock-out.
Des taux d’efficacité en déclin
saison | moyenne de la LNH |
---|---|
2014-2015 | ,911 |
2015-2016 | ,910 |
2016-2017 | ,910 |
2017-2018 | ,908 |
2018-2019 | ,905 |
2019-2020 | ,905 |
2020-2021 | ,903 |
2021-2022 | ,902 |
2022-2023 | ,899 |
2023-2024 | ,899 |
J’aimerais bien avoir un pourcentage d’arrêts de ,930 chaque année, comme tous les autres gardiens, mais je pense que la nouvelle norme, c’est que vous allez voir des statistiques plus basses. C’est la réalité, les gens doivent s’y faire. Ce seront les gardiens vedettes qui seront dans les ,920
, ajoute Allen.
Comment alors les gardiens peuvent-ils contrer ce phénomène et s’adapter à un jeu qui s’accélère sans cesse?
Un peu de jonglerie
Les gardiens ayant de très gros gabarits ont toujours eu la cote, mais il se pourrait bien qu’au-delà de la taille, de la vitesse latérale ou de la qualité de la mitaine, la capacité d’un gardien à bien lire le jeu et à suivre le mouvement de la rondelle devienne la qualité la plus fondamentale dans le hockey d’aujourd’hui.
Selon certains experts, les gardiens ont souvent moins d’une demi-seconde pour voir le disque lorsqu’il est décoché dans une zone à haut risque. Avoir un bon suivi de rondelle est donc impératif pour ne rien manquer. C’est pourquoi divers exercices sont désormais mis à la disposition des gardiens pour aiguiser leurs fonctions cognitives.
Tout comme Allen, Samuel Montembeault manipule des balles de tennis avant les matchs afin de réchauffer ses muscles oculaires.
Lancer des balles au mur en gardant toujours les yeux sur la balle comme on garde les yeux sur la rondelle, ça aide parce que les jeux vont tellement vite, explique Montembeault. Tu la perds de vue pendant une fraction de rondelle et ça peut te faire mal.
Montembeault parle avec un brin d’admiration de la capacité de Cayden Primeau à jongler, ce qu’il est incapable de faire lui-même. Primeau aime jongler avant les matchs et les entraînements, mais il est conscient qu’une fois qu’on sait jongler et qu’on trouve une certaine zone de confort dans cette activité, le gain cesse d’être ce qu’il était au début.
Il y a un gars au Minnesota, de True Focus Vision, qui nous a appris qu’il ne fallait pas faire les mêmes mouvements de jonglage trop souvent, mais essayer de les changer dans des schémas différents, ce qui permet de garder le cerveau actif et de toujours essayer d’apprendre de nouvelles choses
, indique Primeau.
Le gardien des Kings de Los Angeles, Cam Talbot
Photo : AP / Mark J. Terrill
Des innovations technologiques pour les gardiens
Sauf que Primeau n’est pas seulement un jongleur. Sa manière d’améliorer son suivi de rondelle est d’avoir recours à un programme de visualisation hyperspécialisé appelé Visual Edge.
C’est une plateforme de coordination yeux-mains et d’entraînement de la vision
, résume-t-il.
L’outil Visual Edge travaille sur la convergence, donc sur les objets qui se rapprochent, sur la divergence, c’est-à-dire les objets qui s’éloignent, de même que sur les perceptions de profondeur ainsi que d’autres concepts. Certains exercices nécessitent des lunettes 3D et le gardien peut utiliser le programme n’importe où étant donné qu’il est disponible sur tablette.
D’autres gardiens vont plus loin.
Le jeune Québécois Devon Levi, des Sabres de Buffalo, est devenu l’ambassadeur de la marque Sense Arena, qui a développé un programme d’entraînement de hockey en réalité virtuelle. Sense Arena propose un casque de VR qui recrée des situations de jeu et qui prétend apprendre à lire la trajectoire des lancers. Levi utilise ce casque depuis ses trois années à l’Université Northeastern, et Montembeault se souvient de l’avoir vu l’utiliser abondamment lors du dernier Championnat du monde.
Le gardien du Canadien a lui-même essayé le casque deux ou trois fois au gymnase où il s’entraîne, l’été, à Trois-Rivières.
Il se pourrait que, comme dans d’autres sphères de la société, l’aisance des plus jeunes avec la technologie se répercute aussi dans la communauté des gardiens. C’est du moins l’évolution qu’anticipe Allen.
Je pense que de plus en plus de jeunes – pas seulement les gardiens, mais aussi les joueurs – font cela à partir de l’âge de 10, 11 ou 12 ans, et cela fait partie de leur vie et de leur routine, estime-t-il. Je pense qu’on va voir apparaître ce genre d’outils supplémentaires, la réalité virtuelle et tout le reste. Et je dirais que ce sera la nouvelle norme dans la LNH d’ici 10 ans, parce que ça fait partie de l’ADN des jeunes qui grandissent.
Mais pour plusieurs d’entre nous, les plus âgés, ce n’est pas encore le cas.
Levi et Primeau font en effet partie de la jeune génération, mais le gardien des Kings de Los Angeles Cam Talbot connaît l’une de ses meilleures saisons à l’âge de 36 ans, et il utilise lui aussi Visual Edge. Durant la pandémie, lorsqu’il évoluait au Minnesota, il a travaillé avec l’entraîneur des gardiens du Wild Frédéric Chabot. Ce dernier avait doté tous ses gardiens de ce programme, et Talbot l’a retenu par la suite à Ottawa et maintenant à Los Angeles.
Pour un gardien de but, les yeux c’est pratiquement tout, affirme Talbot. Tu travailles fort, tu t’entraînes fort en dehors de la glace, mais si tes yeux ne sont pas concentrés ou qu’ils ne suivent pas correctement la rondelle, ce sera difficile de l’arrêter. Les choses bougent plus vite de nos jours, et je pense que cette plateforme m’aide à garder mon poste plus longtemps.
Qu’il s’agisse du casque de réalité virtuelle de Levi ou du programme Virtual Edge qu’utilisent Primeau et Talbot, l’idée n’est pas d’entraîner seulement les muscles oculaires. C’est d’entraîner le cerveau et d’améliorer le temps de réaction.
Ces outils cognitifs ont leurs adeptes, et ils seront sûrement de plus en plus nombreux, mais tous ne le voient pas comme une évolution incontournable. D’ailleurs, le responsable des gardiens du CH, Éric Raymond, a peut-être une approche plus traditionnelle à cet égard que son homologue du Rocket de Laval, Marco Marciano, qui fait porter des lunettes stroboscopiques à ses gardiens et leur lance des balles de tennis qu’ils doivent attraper malgré l’inconvénient visuel.
Marco aime ses gadgets
, convient Primeau en riant.
Quant à Maxime Vaillancourt, l’entraîneur estival de Montembeault, il ne croit pas que les supports technologiques soient inévitables.
Ce sont des outils qui aident, mais qui ne remplacent pas les pratiques, fait valoir Vaillancourt. Tu améliores des aspects physiques, mais lagame mentale, l’anticipation du jeu, la technique du gardien, ne peut pas se faire à une autre place que sur la glace.
D’abord bien lire le jeu
Jake Allen n’a pas d’objection fondamentale envers le recours aux nouvelles technologies, mais rappelle que les meilleurs entraînements cognitifs auront un effet limité si le gardien n’a pas une compréhension du jeu autour de lui.
S’il devait recruter de jeunes gardiens, c’est surtout sur cet aspect-là qu’il se pencherait.
Je pense que c’est plus ou moins la façon dont le jeune pense le jeu, croit-il. Tu dois lui poser des questions sur les jeux qui se passent dans sa zone : à quoi penses-tu dans une telle situation? Est-ce que tu penses aux mains du gars? Est-ce que tu penses à l’endroit où se trouve ton équipe? Comment joues-tu derrière la structure de ton équipe?
Il s’agit de savoir comment s’adapter aux différentes situations, car elles ne sont jamais les mêmes.
La même logique peut s’appliquer aux gardiens qui misent principalement sur leurs capacités physiques : si l’aspect mental et la lecture du jeu ne sont pas à niveau, ils ne seront peut-être pas à même d’utiliser leurs atouts physiques à leur avantage.
Le suivi de rondelle n’est pas le seul aspect qui peut les aider à ce niveau. L’amélioration du jeu de pieds et l’endurance font entre autres partie de l’équation. L’expérience joue aussi un rôle énorme dans l’entraînement du cerveau. Reconnaître les situations de jeu, les revoir 1000 fois durant les entraînements, ou déterminer des éléments répétitifs pour éviter d’être pris à contre-pied, voilà autant de choses qui favorisent la lecture de jeu, car ce qui se présente devant le gardien n’est pas nouveau pour lui.
C’est sur cette expérience que mise Montembeault dans sa préparation mentale. Il dit avoir eu beaucoup de succès en faisant de la visualisation avant les matchs, à utiliser des coins de mur comme s’ils étaient des poteaux, à visualiser les tirs qui arrivent de partout et le ressenti de la rondelle qui le frappe.
Les méthodes utilisées par chacun diffèrent, mais les gardiens s’entendent tous pour dire que le jeu est de plus en rapide et qu’ils n’ont pas le choix d’être plus rapides eux aussi, dans leur anticipation comme dans leurs gestes, s’ils veulent maintenir la cadence.
Je pense que c’est une question de coaching, d’adaptabilité, du nombre d’outils qu’on a dans notre coffre à outils, et à notre façon de penser le jeu. C’est un défi pour nous tous en ce moment, et ce sera un défi pour les jeunes qui viendront à l’avenir
, conclut Allen.