entre innovation et incertitude, les professionnels du tourisme au défi de l’accueil des étrangers
Hôteliers, restaurateurs, institutions culturelles mais aussi opérateurs de transports… Tous vont devoir faire face à l’afflux important de touristes venus du monde entier. Comment se préparent-ils ?
Barrière de la langue, manque de repères, besoin d’accompagnement et de services spécifiques… Alors que pas moins de 15,3 millions de touristes étrangers venus de plus de 200 nations différentes sont attendus pour les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, dont 11,3 millions pour les seuls JO organisés du 26 juillet au 8 août, les professionnels du tourisme doivent s’organiser pour répondre aux demandes et aux sollicitations de ces populations qui ne parlent pas forcément français, et participer ainsi à la réussite de ce qui doit être le plus grand événement sportif international. Entre 2,6 et 3,2 milliards d’euros de retombées économiques attendues hors billetterie, selon les derniers chiffres communiqués par l’Office de tourisme de Paris, il convient surtout pour les professionnels du secteur du tourisme de ne pas rater l’occasion de profiter de l’événement.
Parmi les protagonistes les plus investis, l’on trouve notamment les partenaires historiques comme la Région et les grands opérateurs de transports. C’est le cas de la RATP, «supporteur officiel» des JO, qui a décidé de mettre le paquet pour accueillir au mieux ces touristes dans le réseau de métro parisien. Outre la mobilisation de 19.000 agents du groupe chaque jour sur le réseau, des équipes de volontaires seront également là pour renforcer la présence humaine dans les gares et stations. De fait, la RATP entend recruter 6600 personnes dont 4900 CDI, 1000 contrats en alternance et 700 contrats d’insertion en 2023. Une «campagne de recrutement sans précédent» qui vise à «assurer l’offre attendue sur les réseaux» à cette période.
Des innovations au service des touristes
Et pour faire face à la barrière de la langue, la RATP n’a pas hésité à faire appel à l’intelligence artificielle, en s’équipant d’un tout nouvel outil baptisé TRAD.IV.IA pour «TRADucation de l’Information Voyageur par l’Intelligence Artificielle». Près de 2000 agents utilisent déjà l’outil, disponible sur leurs tablettes de travail depuis juin. Avec, ils peuvent à la fois traduire des textes en 17 langues différentes, mais aussi diffuser des messages sonores (pour l’instant en 5 langues différentes et jusqu’à 7 langues pour les JO). Début 2024, les agents pourront en outre diffuser des messages multilingues sur l’ensemble des écrans des médias digitaux disséminés sur le réseau.
En parallèle, la RATP a lancé début septembre la vente mobile de tickets, expérimentée dans un premier temps à la Gare du Nord, Gare de l’Est, Montparnasse, Concorde, Champs Elysées-Clémenceau, Denfert Rochereau et Saint-Denis-Porte de Paris, qui dessert le Stade de France. Là, des équipements de vente mobile permettront aux touristes d’acheter des passes Navigo Easy chargés de carnets de ticket t+ plein tarif ou tarif réduit ainsi que des passes chargés de tickets à l’unité. Deux à trois agents en moyenne seront présents dans chaque station concernée, et jusqu’à six agents à Saint-Denis, pour les accompagner. En cas de succès, le dispositif sera renforcé, avec notamment l’acquisition de nouveaux terminaux, en vue des JO.
Territoire hôte de l’événement, la Région Île-de-France souhaite également mettre sa pierre à l’édifice. Après avoir contribué au financement de TRAD.IV.IA, elle a aussi participé au développement d’une nouvelle application à destination des spectateurs des Jeux Olympiques et Paralympiques imaginée «pour les orienter grâce à des itinéraires en temps réel». L’application, qui sera disponible en six langues à partir du printemps prochain, offrira en outre «la possibilité d’acheter des titres de transport dématérialisés», précise la région. Et pour participer à un meilleur accueil des touristes, elle propose «11.000 places par an pour des formations courtes d’apprentissage de l’anglais professionnel notamment dans les domaines de la sécurité, l’accueil, le tourisme, l’hôtellerie-restauration ou la logistique».
Même dynamisme de la part du groupe ADP – anciennement Aéroports de Paris – qui anticipe depuis des mois le bon accueil des touristes mais surtout des 10.500 athlètes pendant les Jeux Olympiques et 4350 athlètes pendant les Jeux Paralympiques. Plusieurs expérimentations sont d’ailleurs en cours pour améliorer l’accès à l’aéroport et la sécurité de ces derniers. «Les Jeux sont l’occasion de démontrer nos savoir-faire», explique Renaud Duplay. S’il préfère «rester prudent» quant à savoir s’il y aura beaucoup plus de monde que d’habitude dans les aéroports parisiens, alors qu’ils sont toujours dans une «période de reprise de l’activité», le directeur du projet Jeux Olympiques de Paris 2024 pour le groupe ADP se met tout de même «en capacité d’accueillir tout le monde», «d’ouvrir tous les terminaux» si besoin.
Les voyageurs pourront bénéficier d’un service «VIP», comme pour les athlètes. Gratuit pour les sportifs mais payant pour le grand public, il est développé en partenariat avec la start-up All the way. Celle-ci se charge ainsi de venir récupérer les bagages directement à l’hôtel, et de les transporter à l’aéroport à la place des clients. D’autres expérimentations sont en cours, comme de nouvelles machines de sûreté qui permettent de scanner les ordinateurs, tablettes ainsi que les produits de beauté sans avoir à les sortir, mais aussi de nouveaux parcours de biométrie – de l’enregistrement à l’embarquement – qui assurent au voyageur un passage des contrôles de sécurité rapide. Enfin, Renaud Duplay insiste sur l’amélioration de la prise en charge des personnes en situation de handicap, avec de nouvelles salles de change.
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D’autres professionnels restent prudents
Mais tous ne voient pas forcément les Jeux Olympiques comme une aubaine, et attendent d’en savoir davantage avant d’embaucher de nouveaux bras. Dans le monde de la culture, du Musée du Louvre au Château de Versailles en passant par le Tour Eiffel, «aucune tendance ne semble se dessiner à ce stade» répondent en chœur les principaux intéressés. Et si les musées parisiens ont bien prévu de rester ouverts pendant cette période, de même que les théâtres et les cinémas, nul ne sait si les visiteurs et autres excursionnistes venus profiter des JO en profiteront également pour se cultiver dans les établissements culturels de la Ville Lumière. À ce stade, pas de recrutement prévu donc, ni de formation particulière pour accueillir des touristes étrangers qui sont déjà la cible privilégiée de ces musées.
Pour les restaurateurs, en particulier ceux installés en plein cœur de Paris, l’incertitude résonne. «À l’été 2023, nous avons accueilli plus de 6,5 millions de touristes, et là, on nous promet 13,9 millions de visiteurs dont seulement 1,2 million d’étrangers», avance Frank Delvau. Pour le président de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (Umih) Île-de-France, le rapport coût-bénéfice de l’opération n’est pas encore certain. Le professionnel pointe en effet un «manque d’information cruel sur les JO» et fustige «la complexité» des zones de restriction récemment annoncées par le préfet de police de Paris. «Il y a des restaurateurs qui hésitent à ouvrir pendant les JO», assure celui qui explique que ces derniers ont besoin de trois flux pour exister : le flux de marchandises, celui de nos équipes et celui de nos clients. «Comment faire si personne ne peut accéder à nos établissements», interroge-t-il.
Dans les hôtels, on reste également prudent puisque pour l’instant, selon le patron de l’Umih, beaucoup de gérants n’auraient «pas encore ouvert les réservations pour la période», attendant «de voir les prix pratiqués par la concurrence». «Les touristes qui veulent profiter de Paris ne viendront pas, ceux qui veulent voir le Louvre ou Versailles ne se déplaceront pas, parce que les prix seront trop chers», estime-t-il. Pour l’instant, difficile d’imaginer quelles seront les retombées économiques pour son secteur, excepté peut-être «pour le très haut de gamme», dans la mesure où – comme le souligne Frank Delvau – de nombreux sponsors «ont prévu d’inviter leurs clients VIP» dans les plus beaux hôtels et palaces parisiens. «Mais ce ne sera pas le cas dans la majorité des établissements», conclut-il.
Même inquiétude du côté des chauffeurs VTC (voitures de transport avec chauffeur), qui attendent de savoir dans quelles conditions ils pourront circuler durant les JO, sachant qu’ils ont déjà été écartés de la fameuse voie olympique réservée sur le périphérique parisien, à moins qu’ils ne transportent des clients, tout comme des zones de restriction de circulation. «D’après ce qu’on voit», les VTC ne sont «pas prévus» dans l’organisation générale des Jeux, présents «ni dans les plaquettes, ni dans les publicités», «écartés des réunions», déplore Arnaud Desmettre. Pour le secrétaire général de l’association des VTC de France, impossible que les 20.000 chauffeurs VTC de Paris et de sa proche couronne ne puissent pas participer aux JO.